06 juillet 2008

Défamiliarisation

Elle possède des sofas, mais ne les utilise pas. Elle préfère s’asseoir à même le sol, ses notes éparpillées sur le tapis, conservant à portée de main sa coupe de vin. Sa coupe de vin. Ses sofas. Possession matérielle, matérialisme, tu m’appartiens, elle n’est plus libre. Elle accroche au passage son regard sur cette scène hivernale où tout perd son sens. Le paysage n’a rien de vierge, on le sent envahi, on le devine habité. Des traces de pas sillonnent l’étendue blanche qu’elle souhaiterait tant voir toute lisse. Son terrain, sa neige, les enfants du voisin…les enfants tout court, les enfants qui courent, une cour dévisagée par des pieds qui portent l’allégresse. Des traces qu’elle pourrait suivre, mais qu’elle choisit de contempler, passive, externe puisqu’à l’intérieur. Elle refuse le guide qu’on lui propose, qu’on n’a pas créé pour elle mais qu’on aimerait la voir suivre. Elle demeure pourtant immobile sur son tapis dans sa maison jusqu’à ce qu’elle se précipite à la fenêtre, s’assurant que cette fois-ci, la clôture aura tenu à l’écart les intrus.

Cliché

C’est parfois comme ça que se déclenchent les tempêtes. Une mouche dans l’écran, une autre qui tournoie et qui cherche à copuler sur un clavier, quelque part entre le « f » et le backslash. Un chat noir, prédateur en chasse de chair d’insecte qui fait « crounch ». Des oreilles pleines d’écouteurs vides qui fixent la solitude à coups de signaux blancs. L’image renvoyée au monde éclabousse Apple d’une multitude de dollars dépossédés. La peur, un leurre, comme le graffiti au Cap-de-la-Madeleine. Un chez-soi trop petit, trop fermé, l’impossibilité de communiquer qui infeste les murs comme du moisi toxique pour le cerveau. Le besoin d’un ciel grand comme la vie et de ne plus jamais parler et d’aimer les montagnes à sens unique et direction l’Ouest jusqu’à l’infini, tant que ça l’emmène loin d’ici.

Elle, la fille qui parle d’exil en Sibérie depuis ses quinze ans parce qu’elle ne comprend rien aux vies comme dans les téléromans. La drama queen inexistante qui réagit mal à la violence et qui se sent comme la pièce du puzzle qui ne s’emboîte nulle part. Celle qui étudie parce qu’elle aime l’odeur des livres neufs et connaître les mots de ceux qui les ont écrits avant elle. Elle s’enfuirait au bout du monde avec une boîte de crayons de bois multicolores et des tablettes de papier recyclé, parce qu’il faut sauver les arbres.

Elle ne pense ni au visa ni à la paperasse, ni à l’inquiétude de ses parents, ni à la déception de ceux qui lui tracent un avenir au Papermate poussé jusqu’à la mort sous les néons. Elle ne pense qu’à elle, seule enfin, sous des tonnes et des tonnes d’un air qui ne pèse rien sur ses épaules. Elle aspirerait toutes les odeurs du froid à la manière d’un enfant qui entame son repas préféré, avec urgence, faisant fi des convenances. C’est parfois comme ça que se déclenchent les tempêtes. Dans l’urgence du moment et l’imprudence qui s’y rattache. Les histoires chaotiques prennent racine dans les oublis de réfléchir.

C’est ainsi qu’a germé la graine de gâchis qui se nourrit des couleurs de son intérieur depuis cinq ans.

Pluie

C'est mardi, il pleut, l'air est lourd jusqu'à la surcharge qui étouffe et qui pollue la respiration. Le froid s'infiltre, accompagné d'humidité frissonnante, et on repousse avec agressivité une mèche qui nous colle sur les lèvres. On se dit qu'on aimera mieux la neige, sachant au fond qu’on l’enverra au diable dès son arrivée. Au détour d'une rue sombre, une impression agaçante de déjà-vu. Chaque chose à sa place, mais on ne retient que le poids étouffant de l'agace découverte. On se trouve piégé dans une nuit trop nuancée où on voudrait un Frank Miller pour définir blanc sur noir la grisonnance assomante.

On résiste à l'envie de faire volte face et de fuir l'ennui, puis on frappe très fort et on entre. Nos cheveux dégoulinent et nos yeux sont gris-morose. On parle de météo, oui, la pluie, il fait trop chaud, on était mieux avant, mamie radote, mamie est plate, il faut qu'on sorte, il faut qu'on parte. Au revoir, bonne nuit, on veut pas de biscuits, c'est ça, bonsoir et à jeudi. On salue le retour à l'anonymat. Les étoiles nous boudent, qu'on se dit en revoyant les nuages. Tant pis pour elles; on aura bientôt des flocons à détruire du nulle part de nos pas.